Dans cet épisode fascinant de Le temps d’une Sieste, l’animatrice reçoit Émilie Saint-Hilaire, chercheuse et artiste, pour plonger dans un sujet à la fois méconnu et intrigant : les poupées Reborn. Ces poupées hyperréalistes, souvent perçues avec curiosité ou malaise, soulèvent de nombreuses questions sur l’art, la thérapie et la perception sociale.

Émilie raconte que tout a commencé en 2016, lorsqu’elle tombe par hasard sur une vidéo intitulée My Fake Baby. Intriguée, elle découvre un univers de créatrices passionnées et décide d’en faire le sujet central de ses recherches universitaires à Concordia. « J’ai changé complètement mon projet de doctorat. J’ai étudié les Reborns pendant huit ans », explique-t-elle.

Artiste de formation, elle décide d’en créer elle-même pour comprendre le processus. Elle décrit minutieusement les étapes : acheter un kit composé d’une tête, de bras et de jambes en vinyle, peindre des couches de couleur pour imiter la peau et même implanter les cheveux « avec une aiguille, un à un ». Elle ajoute : « C’est un processus assez violent parce qu’on doit rentrer une aiguille dans la tête avant qu’il y ait le corps attaché. ».

Les poupées peuvent coûter plusieurs centaines de dollars, voire des milliers lorsqu’elles sont faites en silicone. Certaines sont si réalistes qu’elles peuvent être baignées comme de vrais bébés. Émilie souligne que la création procure un sentiment unique : « Comme artiste, j’ai une connexion, mais c’est plus artistique qu’émotionnel. ».

Son étude met en lumière un aspect souvent ignoré : la communauté Reborn. Loin du cliché de la femme isolée et en deuil, elle y découvre un univers solidaire et créatif. « Quand on voit une femme avec une poupée, on pense qu’elle est seule, mais c’est souvent une connexion à une communauté. ». Les Reborns sont aussi utilisés à des fins thérapeutiques, notamment auprès de personnes âgées atteintes de démence, ou pour soulager l’anxiété et le deuil. Certaines personnes lui ont confié : « Les Reborns m’ont sauvé la vie. ».

Émilie distingue toutefois la thérapie du divertissement : plusieurs collectionneurs filment leurs poupées pour le plaisir, comme on met en scène un personnage fictif. « Ils savent que c’est une poupée, ils veulent que ce soit une poupée. ». Mais les médias, eux, accentuent souvent le côté “creepy”, en présentant ces femmes comme déconnectées de la réalité.

Elle évoque aussi la dimension féministe du phénomène : la plupart des artistes sont des femmes, et leur travail est souvent jugé “étrange” ou “enfantin”. « On déplace l’étrangeté sur la femme, dit-elle, alors que ce n’est qu’un loisir comme un autre. ».

Enfin, Émilie appelle à plus de bienveillance et de curiosité envers ce passe-temps : « Les gens à l’extérieur de la communauté le prennent plus au sérieux que ceux qui en font partie. ». Pour elle, les poupées Reborn sont une façon d’explorer la maternité, la mémoire, l’art et le réconfort, tout en rappelant que « chacun a sa passion — et celle-ci ne fait de mal à personne ».