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Endeuillés du suicide : un sentiment d’impuissance à apaiser

le dimanche 01 septembre 2024
Modifié à 14 h 18 min le 04 septembre 2024
Par Ali Dostie

adostie@gravitemedia.com

Stéphane Caron et Micheline Rapin (Photo: Le Courrier du Sud – Denis Germain)

Stéphane Caron, Micheline Rapin et Sylvie ont tous trois perdu un proche par suicide. Ils ont vécu et vivent encore le sentiment d’impuissance, la colère parfois. Ils ont aussi en commun d’avoir connu la grande difficulté de trouver de l’aide pour traverser ce traumatisme. Un obstacle auquel peuvent aussi se buter les personnes en crise. Tous trois veulent que ça change.

Les trois citoyens de la Rive-Sud organisent une marche qui débutera le 8 septembre à 11h, au chalet du parc Michel-Chartrand de Longueuil, pour se terminer au bureau du ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant.

«Le but est de sensibiliser le gouvernement aux besoins urgents en soins de santé mentale, car les histoires que les gens vivent sont toutes très différentes, mais trop sont en lien avec un manque de services», déplore Sylvie. Celle-ci a perdu son mari Mathieu il y a 14 mois.

En 2023, la coroner Julie-Kim Godin a déposé le rapport Pour la protection de la vie humaine, le fruit d’une enquête qui s’est penchée sur six histoires de suicide.

Le rapport contient quelque 63 recommandations, adressées tant au ministère de la Sécurité publique, au ministère de la Santé et des Services sociaux qu’à des services de police. 

«On veut demander au Ministre: elles sont rendues où, ces recommandations? Est-ce que ça se ramasse sur une tablette ou il y a des actions?» questionne le Châteauguois Stéphane Caron. 

La même coroner a aussi signé le rapport du décès par suicide de sa fille, Christine Caron, qui s’est enlevée la vie en décembre 2022, à l’âge de 25 ans. Son histoire avait été rapportée notamment par Le Soleil de Châteauguay, alors que la jeune fille s’était présentée à plusieurs reprises à l’hôpital Anna-Laberge avant de commettre l’irréparable.

«Les endeuillés par suicide, on se sent impuissants. Beaucoup ont vécu une histoire par rapport à un manque d’aide et de ressources et ne savent pas quoi faire, constate M. Caron. On veut éviter que d’autres familles vivent ce qu’on vit.»

Sylvie se désole de voir que le Québec compte «les pires statistiques» en matière de suicide. 

Selon l’Institut national de santé publique du Québec, en 2021, on a recensé 12 suicides par 100 000 habitants dans la province. 1031 décès; une moyenne de 3 par jour.

«Ce qui fait encore plus peur : le nombre de personnes qui ont fait des tentatives. Il faut leur parler aussi, évoque Sylvie. Et pour chaque personne suicidée, on parle de 6 à 10 personnes endeuillées. Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi le gouvernement ne réagit pas pour mettre des mesures en place pour diminuer ces statistiques?»

Trouver l’aide

Sylvie admet avoir dû «travailler très très fort» pour aller chercher de l’aide à la suite du départ de son mari. Elle ignorait que les centres de crise étaient aussi destinés aux endeuillés qui ont perdu un proche par suicide. 

«J’ai été très chanceuse, j’ai pu avoir un suivi rapide, mais j’ai entendu beaucoup d’histoires de gens qui ont dû attendre des mois et des mois avant d’avoir un thérapeute», illustre-t-elle.

M. Caron a cherché un groupe de rencontres sur la Rive-Sud, en vain. En septembre 2023, il en est même venu à contacter le 1-866-APPELLE, pour être dirigé vers une telle ressource. «On me référait à mon centre de crise, [La Maison sous les arbres], mais il n’offrait pas de groupes à ce moment. La dame m’a dit «Allez sur Google», comme si je ne l’avais pas déjà fait! Je lui ai dit : je commence à comprendre pourquoi ma fille en est arrivée là. C’est tellement compliqué trouver de l’aide!»

Tant Sylvie que M. Caron ont finalement pu bénéficier des services de La maison sous les arbres, à Châteauguay. Il est très reconnaissant du soutien qu’il y a obtenu, mais constate que c’est insuffisant. Il évoque les rencontres de groupes échelonnées sur huit semaines, qui lui ont fait grand bien. Mais un tel deuil ne se règle pas en deux mois. 

«Ils m’ont sauvé la vie, n’hésite pas à dire Sylvie, à propos de cet organisme qui l’a aussi soutenue. Je n’avais pas d’idées suicidaires, mas ils m’ont sauvé la vie d’une autre façon.»

Micheline Rapin déplore quant à elle la façon dont sont traités les gens en crise dans les urgences des hôpitaux. «C’est un code 5 à l’hôpital, relève-t-elle. Tu arrives, tu veux mourir, mais tu es la dernière à passer!»

Résidente de Sainte-Catherine, elle a perdu son fils unique, Jean Rock, il y a 20 mois, Il avait 40 ans. Ces démarches, elle les fait en son nom.

Groupe de discussion

Le suicide demeure un sujet très tabou, même au sein des familles touchées par un tel événement tragique. 

«Ce n’est pas parlé, et ça reste comme ça pendant des années. Quand ce sont des gens qui n’ont pas vécu quelque chose de similaire, ils ne veulent pas en parler, ils ne peuvent pas en parler, alors tu deviens isolé. Mais il faut que tu guérisses», clame Mme Rapin.

Cette dernière a rencontré M. Caron et Sylvie dans un groupe de deuil… à Terrebonne. 

Le trajet finissant par peser lourd dans leur quotidien, ils ont créé en novembre dernier la page Facebook «Endeuillés/es par suicide (rive-sud de Montréal)». Elle compte actuellement 120 membres, non seulement de la région, mais aussi d’ailleurs dans la province.

«C’est un espace sécuritaire et bienveillant où les endeuillés peuvent échanger avec des gens qui ont ce même vécu, explique Sylvie. Ils partagent quand ils en ont besoin, la majorité de la communauté va répondre. On est là, on se soutient. Et nous, on garde une oreille aiguisée : si on voit quelqu’un en détresse, on va contacter le centre de crise.»

M. Caron témoigne de l’importance de ce partage avec des gens qui, comme lui, ont vécu ce deuil qui ne ressemble à aucun autre. 

«Le deuil par suicide est particulier. Il amène de la colère, mais beaucoup de culpabilité, de questionnements. Moi, j’ai mis ma fille au monde. Pourquoi elle a voulu y mettre fin, à cette vie? s’interroge-t-il, ému. C’est important d’en parler ensemble.»

«C’est un deuil traumatique, qui change ta vie à jamais», ajoute Micheline Rapin. 

De plus, une rencontre de discussion a lieu tous les premiers lundis du mois, en personne, sur la Rive-Sud. Ils souhaiteraient s’associer à un organisme, qui pourrait les soutenir dans ces démarches. 

Ces rencontres réunissent des gens de tous les milieux et de tous les âges. Des parents y ont témoigné du suicide de leur enfant de 12 ans. 

«On n’est pas obligé de parler. Dans l’écoute, on apprend beaucoup. Ça se veut réconfortant, affirme Micheline Rapin, à qui ces moments apportent beaucoup. C’est tellement douloureux de traverser ça.»

Prendre parole

«Mettre le doigt sur l’urgence de changer les choses» est ainsi une des motivations de ces trois citoyens. Raconter leur histoire aussi.

Ils invitent les participants à la marche du 8 septembre à écrire une lettre adressée au bureau du ministre Carmant, dans laquelle ils racontent l’histoire de leur proche qui s’est enlevé la vie. Sur leur chemin, ils souhaitent déposer ces messages dans une boite aux lettres.

«C’est quelque chose que tu portes en toi, ce n’est jamais livré. Ces gens doivent pouvoir sortir ce qu’ils ont à dire», relate Micheline Rapin. 

La marche du 8 septembre est ouverte à tous les membres du groupe Facebook, aux proches et amis de la personne décédée et à toute personne touchée par la prévention du suicide. Le groupe suggère aux personnes qui le souhaitent d’apporter une photo de la personne décédée. Un pique-nique sera organisé par la suite au parc pour ceux qui le désirent. Il faut apporter son lunch.

En cas de besoin, contacter la ligne téléphonique provinciale de prévention du suicide 1 866 APPELLE (277-3553). Il est aussi possible de contacter le centre de crise La Maison sous les arbres au 1-855-450-699-5935.

 

Une stratégie et un plan

En réponse aux questions du Courrier du Sud, le bureau du ministre Lionel Carmant a nommé la Stratégie nationale de prévention du suicide 2022-2026, parmi les actions posées par le gouvernement. 

Le Plan d’action interministériel en santé mentale, publié la même année, permet de mettre en place «avec tous nos partenaires, un ensemble d'actions pour augmenter le bien-être des adultes et des enfants, dans nos écoles, dans nos entreprises et dans les communautés», a signifié Carl Ducharme, attaché politique de M. Carmant.

«Chaque suicide est un suicide de trop, a-t-il exprimé. Heureusement, le Québec a beaucoup progressé au cours des dernières années en termes de prévention du suicide. Un grand nombre d'acteurs et d'organisations ont fait des efforts importants pour s'attaquer à ce fléau, notre gouvernement y compris.»