Opinion
Nos monuments, ou le portrait d’une époque
le jeudi 10 septembre 2020
Modifié à 13 h 36 min le 10 septembre 2020
J’espère que le colonel Charles-Michel d’Irumberry de Salaberry n’a pas de squelettes cachés dans son placard. Car il suffirait de peu, ces jours-ci, pour que son auguste statue qui accueille les visiteurs au parc Delpha-Sauvé, soit déboulonnée à son tour.
Il en serait tout autant pour la statue de Saint-Thomas d’Aquin, devant le Collège de Valleyfield, ou encore celle du pape Pie IX et des Zouaves pontificaux, rue Victoria.
Pourtant, le colonel de Salaberry n’avait sans doute pas les mains blanches, lui qui avait été enrôlé dans l’armée britannique dès l’âge de 14 ans et dont « le tempérament fougueux et vif lui vaut le sobriquet de Marquis de la poudre à canon. »
Mais c’était d’une autre époque, au 19e siècle, où les conflits armés occupaient davantage les valeureux soldats que dans nos sociétés contemporaines. Les valeurs de l’époque étaient aussi fort différentes que les valeurs prônées aujourd’hui, particulièrement à l’égard du racisme, du rôle de la femme, des relations homme-femme ou encore du respect de l’environnement.
Et les hommes politiques qui nous ont gouverné durant ces divers épisodes de l’histoire ont été honorés pour le travail qu’ils ont accompli, avec toute la responsabilité que cela incombe à un grand dirigeant. Certains ont vu s’ériger des statues en leur mémoire.
Ces monuments historiques doivent être considérés comme des portraits de la société dans laquelle ils ont été réalisés. John A. McDonald était premier ministre du Canada lors de sa création. Comme tout politicien, il devait être adulé par une partie de la population canadienne et honni par une autre partie de ses commettants. Tout est une question de point de vue.
Certains manifestants qui ne partagent pas, selon les valeurs de 2020, les points de vue du 19e siècle de McDonald, ont déboulonné sa statue la semaine dernière à Montréal. Là n’est pas le point car, qu’on le veuille ou pas, McDonald fait inévitablement partie de l’histoire canadienne, une histoire qui comporte de nombreux personnages, certains plus respectables que d’autres.
Déboulonner la statue d’un personnage historique, c’est se mettre la tête dans le sable, c’est refuser de voir que notre société ait déjà, elle aussi, collectivement, jusqu’à un certain point, partagé ces mêmes valeurs.
Et si l’histoire vient à démontrer qu’un individu statué était aussi un fraudeur, un raciste, un fourbe, eh bien qu’on y ajoute quelques paragraphes de plus pour la mettre à jour.